lieu d'esperer qu'il repareroit la perte qu'il venoit de faire, et cela
lui eut reussi sans doute, Mais dès qu'il eut imprimé ce livre qui lui
revenoit a 18. mille ou 20. mille francs, les libraires de Lyon qui en
virent le bon succes, mais a qui la grosseur ne permettoit pas de le contrefaire
en seureté chez eux, s'aviserent de le faire contrefaire a Cologne par un
libraire nommé Friessen qui leur en envoyoit les exemplaires par
centaines a Lyon et ailleuers et d'où ils les faisoient passer en Espagne
et les y donnoient en meilleur marché que ceux de Paris ne revenoient
a Bertier, qui bien loin de profiter de son travail fut obligé de perdre
sur tous les exemplaires qu'il avoit envoyé a Seville et a Madrid
et de manquer le gain qu'il auroit fait sur deux autres editions.
Car les libraires de Lyon en firent faire deux impressions
a Cologne en 3 ans de temps, aussi bien qu'une de Tertullianus
??? qu'avoit imprimé Couterot a Paris en six volumes
in 4?. Cette concurrence & ce vol que les Lyonnais firent a Bertier
ayant fait echouer son edition, il se trouva hors d'etat de rembourser
les derniers qu'il avoit empruntez pour les avances de l'impression,
il perdit son credit, et tomba dans une telle persecution de ses
creanciers qu'il mourut prisonnier dans sa propre maison
par un accablement de chagrin que son grand courage ne put surmonter.
Cet exemple arrivé il y a quinze ans entre plusieurs autres a
fait un tel effet dans la librairie que l'on n'ose plus entreprendre
de gros livres surtout en latin, et l'on est si convaincu du danger
qu'il y a que dès qu'on voit un libraire imprimer un livre latin
tant soit peu considerable, on peut asseurer que c'est sa ruine, et qu'il
perd immanquablement son credit. Ainsi chacun ayant pris le parti
des petits livres en notre langue, et n'aspirant qu'a trouver des
gens qui veuillent en faire pour de l'argent, on ne voit plus aujourd'hui
qu'une multitude de livres français, qui n'etant faits la pluspart
que de commande, sont ou fort chers ou fort mauvais, parce que les
habiles gens se font payer comme ???, et que les autres qui travaillent
pour peu de chose, ne songeant qu'a recevoir l'argent du libraire et
point a leur reputation, ne font presque jamais rien qui vaille.
Ce qui prouve bien que ce fameux Billaine avoit raison de dire
en deplorant le sort du malheureux Bertier que c'étoit un point d'où
l'on pouvoit lire l'horoscope de la librairie de Paris et de la littérature
en France, qui ne manqueroient pas de perir bien tot si le Roy et les
Magistraux n'y mettoient remede par une protection particuliere
en maintenant au moins les privileges et les continuations
contre le brigandage des contrefaiseurs, et c'etoit avec raison qu'il
trembloit lui-meme de l'entreprise qu'il venoit de faire du glossaire de
Monsieur Ducange, puisqu'il ne manqua pas d'etre contrefait en
Allemagne la mesme année qu'il fut achevé, et d'etre distribué par
les libraires de Lyon dans tous les lieux de leur correspondance.
On peut donc concluire de toutes ces choses que la pretention